En cette période de transition entre le deuxième et le troisième millénaire, de nombreux conflits à travers le monde ont des racines que l’opinion attribue à la religion et pour cause : en Europe comme en Afrique et au Proche et Moyen Orient, le terrorisme prend de plus en plus le visage d’un islamisme radical qui, partout où il s’installe, défie les autres formes de religiosité et sème la désolation et la terreur, ce qui est contraire à l’islam qui demeure fondamentalement une religion de paix.

Depuis 1993, l’UNESCO a tenu de nombreuses conférences sur la problématique de la religion dans les situations de conflit. Lors de sa conférence de 1994 à Barcelone, elle a publié la Déclaration sur le rôle de la religion dans la promotion d’une culture de la paix et de la justice dans une perspective de durabilité. Le document met également un accent sur les enjeux qui sont ceux du mouvement interreligieux international: prévenir les conflits, réduire la pauvreté, favoriser la justice sociale, fournir une éducation adéquate, respecter la terre et tous les êtres vivants, et promouvoir le dialogue et l’harmonie entre les religions. En 2007, les Nations Unies embouchent la même trompette en adoptant la Résolution A/62/337 qui promeut le dialogue, l’entente et coopération entre religions et cultures au service de la paix.

C’est dans ce même sillage que la plupart des organisations de promotion du vivre-ensemble et de sauvegarde de la création inscrivent leurs ambitions. Convaincu que les conflits qui déchirent le tissu social dans notre pays n’ont pas d’étiquette religieuse, que les disputes doctrinales qui agitent les relations entre les grandes religions (Chrétienne, Musulmane, Endogène) les minent aussi de l’intérieur (Eglises classiques et Eglises de réveil, Tidjanites, Sunnites, Wahhabites et Chiites), que face aux exactions de la secte islamiste Boko Haram dont souffre le Cameroun, il est urgent pour les croyants de toutes obédiences de se mobiliser, le Cercle International pour la Promotion de la Création (CIPCRE) a créé et entretenu, depuis 1998, un espace de coopération interreligieuse et de promotion de la justice, de la liberté et de la paix.

1. QU’EST-CE QUE LA COOPERATION INTERRELIGIEUSE ?

La coopération interreligieuse est l’action solidaire entre Catholiques, Protestants, Musulmans et représentants des religions endogènes du Cameroun en vue de bâtir une société de justice et de paix.

Une telle définition permet d’ores et déjà de dissiper un certain nombre de malentendus sur la coopération interreligieuse. Dans cette perspective, elle n’est pas :

⦁ une plateforme pour convertir les membres des autres religions et leur faire douter de leur foi ;
⦁ un espace où des adeptes d’une religion se sentent supérieurs aux autres ;
⦁ un moyen de travailler ensemble entre religions pour discriminer et/ou manipuler les autres groupes sociaux (comme les femmes, les jeunes, les analphabètes, etc.) pour des fins inavouables.

La coopération interreligieuse n’est pas non plus le dialogue interreligieux au sens strict. Ce dernier en est une autre étape. Dans la coopération interreligieuse, les chrétiens, les musulmans et les fidèles des religions endogènes, en groupes interconfessionnels constitués, se mettent ensemble à l’œuvre pour combattre les maux sociaux ainsi que toutes formes de violences et susciter en leur sein et au sein des populations la conscience de leurs droits et de leurs devoirs afin de bien défendre les premiers pour mieux assumer les seconds. Dans le dialogue interreligieux, chaque partie cherche à mieux connaitre l’autre dans ses convictions doctrinales, à approfondit ses richesses et ses tensions en restant attentive aux richesses et aux tensions de l’autre partie et aux opportunités de construction d’une éthique spirituelle commune. Le dialogue interreligieux bien compris fonde davantage et facilite la coopération interreligieuse.

Dans son encyclique Ecclesiam suam (ES) (b), publiée en 1964, le Pape Paul VI identifie « quatre cercles concentriques » du dialogue interreligieux dans le monde moderne : « le cercle de l’humanité (le plus grand), celui des croyants de diverses religions (dont les chrétiens), celui des chrétiens (le dialogue œcuménique), et enfin celui qui se vit à l’intérieur de l’Église catholique.» Si l’on se place dans une perspective autre que la religion catholique, on distinguera le cercle de l’humanité, le cercle des croyants des autres religions (dont les musulmans et les fidèles des religions endogènes), le cercle des musulmans ou des religions endogènes (dont les divers courants) et enfin celui qui se vit à l’intérieur de chaque obédience musulmane ou des religions endogènes. En schématisant, on obtient ceci :

Tout dialogue interreligieux revêt plusieurs formes dont le dialogue au ras du sol sur la vie quotidienne, le dialogue des expériences spirituelles, le dialogue théologique et le dialogue pour la promotion de la justice et de la paix.

2. QUELLE EST LA GENESE DE LA COOPERATION INTERRELIGIEUSE AU CIPCRE?

Tout part de 1983 à Vancouver au Canada. Le Conseil Œcuménique des Eglises (COE), sur la base de plusieurs constats sur les crises multiformes qui affectent le monde, décide «  d’entrer dans un processus d’engagement mutuel en faveur de la justice, de la paix et de la sauvegarde de la création (JPSC). »Ainsi nait le mouvement JPSC dont les préoccupations seront précisées en 1990 dans les 10 appels de Séoul. Le CIPCRE qui voit le jour la même année, s’inscrit dans la philosophie JPSC en organisant trois colloques internationaux : le premier en juin 1996 à Batié sur Ethique écologique et reconstruction de l’Afrique, le deuxième en 1997 à Porto-Novo sur Ecologie et Evangélisation et le troisième en avril 1997 à Batié sur le thème  Eglises, impunité et droits des victimes en Afrique Centrale et Occidentale  en collaboration avec le COE. En octobre 1998 à Bafoussam, le CIPRE, appuyé par six Eglises Protestantes, lance la Commission Provinciale Justice, Paix et Sauvegarde de la Création. La même année, la Campagne Semaines Pascales sort des fonts baptismaux : musulmans, catholiques et fidèles des religions endogènes rejoignent les protestants et ensemble, organisent la croisade contre les fléaux sociaux. Impulsée par une équipe nationale d’organisation, cette campagne sera portée par des Comités Locaux d’Organisation (CLO), puis par des Comités d’Orientation et de Suivi (COS). Marches et actes symboliques, célébrations œcuméniques et messages des différentes communautés de foi ponctuent la campagne au fil des ans jusqu’en 2012 quand une nouvelle stratégie d’intervention entre en vigueur au CIPCRE. Avec la création d’un Comité Interreligieux à Bafoussam en 2013, la Campagne Semaines Pascales entre en hibernation. La coopération interreligieuse s’enracine prioritairement dans les villages pilotes.

3. QUELS SONT LES OBJECTIFS DE LA COOPERATION INTERRELIGIEUSE ?

La coopération interreligieuse vise à contribuer à la promotion de la justice et de la paix, à la prévention et la gestion non violente des conflits et au vivre-ensemble.
De façon spécifique, elle a pour objectifs de rapprocher les différentes confessions religieuses afin qu’elles :
⦁ Se comprennent et comprennent les autres confessions religieuses dans ce qui leur est commun et ce qui les distingue ;
⦁ Adressent ensemble les problématiques sociales qui se posent dans leur environnement direct ;
⦁ Participent à l’édification de la paix à travers les 5 principales étapes du conflit (actions de contrôle sur les combustibles, le déclenchement du feu, l’expansion des flammes, le rougeoiement des braises et les cendres du conflit : reconstruction, réconciliation et pardon).

4. QUELLE EST LA DEMARCHE POUR LA MISE EN PLACE DE LA COOPERATION INTERRELIGIEUSE ?

La démarche pour la mise en place de la coopération interreligieuse impulsée par le CIPCRE comprend les étapes suivantes:

(1) L’élaboration d’une cartographie des problèmes et des acteurs ;

(2) Le lobbying auprès des leaders religieux (pasteurs, catéchistes, évangélistes, prêtres, imams, évêques, chefs traditionnels, responsables des mouvements de jeunes et de femmes dans les paroisses) tant aux niveaux local, régional que national en vue de les sensibiliser sur l’importance de la coopération et du dialogue interreligieux et d’obtenir leur adhésion, leur implication et leur soutien pour la mise en œuvre des actions en faveur de la justice et de la paix. Une telle démarche se fait auprès des autres détenteurs d’enjeux que sont les autorités administratives (sous-préfets, préfets et gouverneurs), les forces de sécurité, les médias et les coordinateurs de réseaux et des Organisations de la société civile d’obédience religieuse.

(3) Organisation d’un atelier de réflexion sur les enjeux et les défis de la coopération interreligieuse pour un changement social au profit de ces leaders religieux pressentis, susciter la création d’un cadre d’échange interreligieux sur les questions susceptibles de menacer la paix et les stratégies de lutte contre les problèmes identifiés.

(4) Organisation des descentes dans les communautés à la base (paroisses, chefferies traditionnelles et mosquées) pour prendre contact avec les autorités religieuses, leur donner un appui pour l’identification de celles et ceux de leurs fidèles intéressé-e-s par les activités interreligieuses et les prier de les libérer pour y prendre part.

(5) Facilitation de la création des organes promotion de la Justice, de la Paix et de la Sauvegarde de la Création d’une part et d’animation de la coopération interreligieuse d’autre part :

⦁ Le Mouvement Interreligieux pour la Paix (MIRPA). D’envergure nationale, le MIRPA est une structure faitière en gestation. Il a pour ambition de tirer parti des bonnes pratiques de la coopération interreligieuse engrangées dans la région de l’Ouest pour contribuer, à sa manière, à l’émergence d’un mieux-vivre ensemble dans notre pays.

⦁ Les Dynamiques (Protestante et Islamique) Justice, Paix et Sauvegarde de la Création(DJPSC) sont accompagnées par le CIPCRE respectivement depuis 1998 et 2009. Elles ont pour objectifs de promouvoir localement la justice et la paix et la médiation pour le règlement pacifique des conflits ; d’assister humainement et juridiquement les laissés-pour-compte ; de dénoncer de manière non-violente les injustices et les violations des droits de l’Homme; de mobiliser les communautés chrétienne et islamique pour la protection de l’environnement.

⦁ Les Commissions Paroissiales et de Mosquées Justice, Paix et Sauvegarde de la Création, respectivement CPJPSC et CMJPSC, relais du CIPCRE, constituent des outils pour l’enracinement des actions de promotion de la paix, de prévention des conflits et d’éducation au sein des communautés de foi.

⦁ Les Comités Interreligieux (régional et locaux) chargés de l’animation de la coopération interreligieuse : ils sont composés des membres des DJPSC, de la CDJPSC et des Notables pour mener des actions communes de promotion de la Paix au profit des populations, prévenir des dérives liées à la cohabitation entre les différentes communautés et sensibilités religieuses, favoriser la compréhension mutuelle entre les religions et la culture de la tolérance religieuse.
Le CIPCRE met les DJPSC, les CPJPSC et les CMJPSC en collaboration avec la Commission Diocésaine Justice et Paix (CDJP) et les Comités Justice et Paix (CJP) catholiques d’une part et les Comités interreligieux d’autre part pour prendre des initiatives dans leurs milieux d’intervention, organiser des rencontres d’échanges et de partage d’expériences, de visites conjointes des détenus dans les prisons, des échanges d’idées et de conseils mutuels pour résoudre des conflits et les transformer. Dans leur travail, les DJPSC, les CPJPPSC, les CMJPSC et les Comités Interreligieux sont appuyés techniquement et financièrement par le CIPCRE. Les modalités de leur structuration et de leur fonctionnement sont élaborées de façon participative.

5. QUELS SONT LES AXESD’ANIMATION DE LA COOPERATION INTERRELIGIEUSE ?

L’animation de la coopération interreligieuse repose, entre autres, sur les axes suivants :

(1) Rencontres de prières, de dialogue et de cultes œcuméniques au profit des différentes communautés religieuses et des populations;

(2) Ateliers de formation, de réflexion et de sensibilisation sur l’importance de la coopération et de la tolérance interreligieuses dans la promotion du vivre-ensemble, de la justice, de la paix et de la sauvegarde de la création au profit des différentes communautés de foi;

(3) Représentations théâtrales au profit des membres des différentes religions sur les sujets en lien avec la paix et les conflits interreligieux ;

(4) Rencontres d’échange et de partage d’expériences sur la prévention et la résolution pacifique des conflits au profit des populations;

(5) Appui technique et financier à la planification et à la mise en œuvre des activités des organes de promotion de la Justice, de la Paix, de la Sauvegarde de la création et de la coopération interreligieuse ;

(6) Renforcement des capacités des leaders religieux en matière d’analyse sociale et de compréhension du triptyque Justice, Paix et sauvegarde de la Création;

(7) Intervention sociale interreligieuse (marches, prises de position sur des problématiques sociales, non-coopération collective, désobéissance civile, sit-in et éventuellement lie-in, boycott, accompagnement psychosocial et juridique des victimes de toutes sortes d’abus, visites communes des malades, des prisonniers, des personnes handicapées, assistance aux nécessiteux et aux laissés-pour-compte, etc.)

(8) Rencontres de suivi-évaluation des activités réalisées par les DJPSC et les Comités Interreligieux ;

(9) Dialogue sur les fondements, le sens et la signification de l’éthique et des pratiques religieuses.

6. QUELS SONT LES PRINCIPES DE BASE DE LA COOPERATION INTERRELIGIEUSE ?

Les principes de base sont au nombre de 10.

(1) Construction des ponts entre les différentes confessions religieuses;
(2) Déconstruction des stéréotypes et des préjugés liés aux différentes religions;
(3) Exaltation des valeurs communes aux différentes religions;
(4) Éducation à l’accueil et à la gestion des différences religieuses;
(5) Recherche d’une base de confiance commune face aux défis JPSC ;
(6) Rejet de toute assimilation de la violence et du terrorisme à une religion ;
(7) Respect absolu des droits inaliénables de la personne humaine ;
(8) Adoption de la logique de la non-violence ;
(9) Refus de toute hiérarchisation des religions;
(10) Communication (écrite, audio-visuelle, web, supports, etc.)

7. Quelles sont les questions-clés à se poser lors de la préparation d’une activité interreligieuse ?

⦁ Quoi : (Choisir des sujets qui ne heurtent pas les sensibilités religieuses des uns et des autres) Quel sujet aborder? Quel est son intérêt pour les partenaires ?

⦁ Quoi :(Décrire les effets attendus de l’intervention) Qu’est-ce qu’il faut attendre de ce sujet en termes de justice, de paix, de sauvegarde de la création, de vivre-ensemble, de tolérance religieuse, de médiation, de réconciliation, de lobbying, de plaidoyer, etc. ?

⦁ Où : (Choisir des lieux de réalisation consensuels) Où réaliser l’activité ? Faut-il aménager spécialement le local pour tenir compte des spécificités religieuses ?

⦁ Quand :(Tenir compte des calendriers traditionnels et religieux) Quel jour l’activité sera-t-elle menée ? Ce jour est-il indiqué pour toutes et tous ?

⦁ Qui : (Attribuer des rôles en fonction de l’identité religieuse des responsables) Qui va préparer l’activité ? Avec qui ? Qui va dire la prière ? Qui travaille dans quel groupe ? Qui anime dans quel groupe ? Qui restitue ?

⦁ Qui : (Tenir compte de l’identité religieuse des participants) Qui est invité ? Y a-t-il un équilibre entre les hommes et les femmes ? Les garçons et les filles ?

⦁ Comment : Tenir compte de la diversité des manières de présentation (exposé, causerie éducative, atelier, séminaire, conférence, théâtre, jeu de rôle, etc., de construire la situation-problème, d’illustrer les contenus afin qu’ils reflètent, autant que possible, les diverses traditions religieuses impliquées dans l’intervention. Pour certains types d’interventions sociales, penser à la sécurité des participant-e-s et veiller à ce que les activités se déroulent de façon non-violente).